Prologue

 

Un pédagogue

Cette thèse est écrite par un témoin de l’explication, un homme qui l’a observée avec intensité en tant qu’élève, lecteur, auteur et présentateur d’explications. Quelqu’un qui a senti de grandes frustrations en face des fausses leçons, des faux livres et des faux professeurs, mais a connu aussi le miracle d'être aidé à comprendre des choses subtiles. Le pédagogue a investi beaucoup d'énergie pour l’explication dans divers contextes et a connu à la fois des satisfactions et des déboires pédagogiques. Il était convaincu que l'explication accomplie est un " pas de deux ", un rituel fondamentalement binaire, presque mystérieux, lié intimement à l’amour et à la solidarité.

Le pédagogue veut plaider pour ce "pas de deux", menacé par une société centrée sur la reproduction, qui semble ne pas saisir correctement l'importance et l'efficacité de la danse explicative. Il n'est pas un admirateur de l'enseignement collectif, mais comprend ses raisons et la position ingrate des enseignants. Il sait que beaucoup d'entre eux gardent avec difficulté l'enthousiasme nécessaire pour faire bien leur métier et progresser dans l'art d'expliquer. Il sait qu'une bonne explication demande un grand effort de préparation et un raffinement progressif. Il déplore " l'éducation de consommation " qui navigue superficiellement dans un univers de connaissances volatiles sans avoir le temps de plonger dans les eaux de la compréhension profonde. Il est inquiet de l'effet engendré par la difficulté d'évaluer et de récompenser correctement la performance explicative. Il a saisi que l'absence de rétroaction stimulante peut causer une dégénérescence souterraine du discours d'un auteur ou d'un enseignant. Il croit que le maigre traitement salarial de ceux qui expliquent (les " explicateurs ") et le traitement scientifique insuffisant de l'explication sont deux phénomènes liés.

L'écologie de l'éducation le préoccupe. Il est troublé par le caractère intime de l'acte explicatif qui nous oblige à une distinction claire entre l'amour et l'agression explicative. Il condamne l'éducation par force, qu'il a eu la malchance d'observer dans des conditions assez dramatiques. Il voudrait, au contraire réhabiliter l'éducation par consentement car il considère que le rapport sain entre le novice et le maître est un formidable moteur pour l'explication. Il croit que l'isolation de l'apprenant, laissé seul avec des " instruments d'apprentissage " au nom de la liberté et du constructivisme est une erreur théorique et pratique.

C'est dans ce contexte qu'il observe la tentative de remplacer l'enseignant avec un ordinateur et lui oppose l'idée du travail en triangle " expert-ordinateur-novice ". Dans la méthodologie du mixage synchrone-asynchrone qu'il propose, il injecte sa vision éducative et son expertise pédagogique.

Un théoricien

Cette thèse est écrite par un théoricien à fortes tendances philosophiques et épistémologiques, qui a rencontré à vingt ans les théories des systèmes et des ensembles flous et a voulu les appliquer pour modéliser un phénomène qui l’obsédait depuis l'enfance, l’explication.

C'était un défi de taille, car le sujet est extrêmement complexe, un hybride de matériel et de spirituel, demandant un mariage de logique et d'intuition, oscillant tel un pendule entre l'exactitude et l'ineffable, impliquant une multitude de dimensions, parfois indiscernables, vivant des vagues de processus qui interférent, faisant naître une problématique enchevêtrée tel un labyrinthe et suscitant l'intérêt d'une multitude de disciplines. Celles-ci produisent un univers très riche d'idées, de modèles et de visions, exprimés dans une multitude divergente de langages, une vrai tour de Babel…

Coaguler l'univers d’observations et de descriptions pour refléter l'unité du phénomène explicatif, s'est avéré une ambition démesurée. Une recherche si pluridisciplinaire ne trouve pas facilement une méthodologie appropriée. En dépit des innombrables gestes d'observation, des lectures, des méditations, des expériences de laboratoire, des tentatives de modélisation, le scientifique a dû se replier sur une position plus modeste. Après une période de panique, il a décidé de transfigurer sa demi-défaite; il a dressé la carte de sa perplexité afin d’organiser l'espace des observations et des questions comme préalable à l’espace laissé aux réponses. Il espère que ce type de synthèse pourrait inspirer la naissance d’une théorie unitaire et globale de l’explication, pour laquelle il plaide implicitement dans toute la thèse et explicitement dans l'essai qui est la conclusion de la troisième partie.

La trajectoire vers cette approche assez inhabituelle était sinueuse et influencée par des rencontres et des révélations très diverses. Entraient en jeu une vision systémique et même osmotique de l'existence, une fascination pour la consonance et l'interaction, une perception aiguë de la dimension temporelle des choses et des concepts, un regard dialectique sur le rapport entre structure et processus, une position épistémologique prudente qui acceptait la valeur de l'explication descriptive à côté de celles qui étaient justificatives. Tout cela a mené le pédagogue à la conclusion que le traitement approprié de la complexité dynamique impose une combinaison de rigueur et d’intuition, de précision et d’ambiguïté, de planification et d’inspiration, de déduction et d’observation.

 

Un ingénieur

Cette thèse est écrite par un ingénieur. Un homme qui a la passion de construire des outils et de faire fonctionner les systèmes de manière optimale. Cet homme a utilisé un solide appareil mathématique pour résoudre des problèmes techniques en télévision et en informatique. Puis (est-ce un accident ?!) il s'est tourné vers la production optimale des instruments avec lesquels on pouvait organiser de façon optimale des systèmes où l'explication devait être optimale.

L'ingénieur sémantique- sémiotique a construit des didacticiels, a cherché le perfectionnement de leur interface, de leur structure et de leur comportement. Il a analysé la distinction entre les environnements d'exploration et les outils de présentation et a essayé leur combinaison dans un seul système qui mixe l'assistance synchrone et asynchrone, les diverses modalités de présentation, les stratégies de gestion du discours, des postures explicatives variées (documentation, coopération, instruction) etc.

L'ingénieur de fabrication a profité de son immersion dans posture d'auteur pour saisir ses besoins de composition "en-ligne" et "hors-ligne" et a orienté en conséquence la construction des outils " d'authoring ". Il a dressé des spécifications et a développé des prototypes pour mettre en évidence la physiologie et étudier la faisabilité. Il s’est concentré sur le régime transitoire de l'explication, moins étudié que la statique cognitive: le rapport entre sérialité et parallélisme, la perception et la composition du discours sur plusieurs pistes, la négociation dynamique de la décision, l'adaptation et la métamorphose.

Il a étudié l’ordinateur comme acteur d’une explication, a flirté avec l’intelligence artificielle, mais a terminé par renforcer son intuition que l’ordinateur devrait être plutôt une interface de facilitation de la communication expert-novice, qu'un agent explicatif autonome, en tout cas tant que nous n’étions pas en possession d’une théorie microscopique de l’acte explicatif. Pour soutenir une telle théorie il a fait un récit détaillé de ses expériences.

L'ingénieur de systèmes a témoigné de sa position ingrate face à la complexité du problème de design et de l'évolution technologique explosive et parfois anarchique. Il n’a trouvé pas de méthodes efficaces pour résoudre les problèmes de façon optimale. Il a essayé de formuler un problème de recherche opérationnelle mais il n'est même pas parvenu à écrire le système d'équations qui décrivait le système. Il n'échappa pas au besoin de décision intuitive, de bricolage, d'invention. Il a découvert que la "reproductibilité" et la "générativité" des explications avaient des limites profondes. Il a constaté qu'un effort d'amélioration pouvait coûter souvent plus cher que le bénéfice qu'il pût apporter! Il a été ainsi forcé de remplacer le mot " optimal " par " meilleur ". Il doit accepter les " recettes " du " design de l'instruction ", comme une posologie utile mais ne possédant pas de physiologie à la base. Malgré tout, il a continué à plaider pour la surveillance continuelle du rapport performance/coût.

Il a synthétisé ses constats sur " l'authoring ", l'ingénierie explicative et les instruments explicatifs dans plusieurs essais. Le dernier geste, tentant la voie de la synthèse instrumentale, fut la description de l'instrument virtuel qu'il a essayé de construire, avec l'espoir que ses spécifications comportementales pourraient soutenir plus tard un design effectif.

L’interférence

Les trois personnages décrits précédemment, me cohabitent. Mes trois "moi" se sont influencés, inspirés et complétés. Ils se sont heurtés, contredits, harcelés et niés. Ils ont négocié et ils ont écrit cette thèse ensemble. J'ai eu peur que le résultat reflète un déchirement. J'ai pensé à plusieurs reprises choisir un seul des trois auteurs afin de donner à l'étude une unité d'approche et de simplifier la rédaction et la lecture. Tour à tour, j'en étais sur le point de faire taire l'ingénieur, le pédagogue ou le théoricien. Mais j'ai dû finalement les laisser parler ensemble, pour pouvoir présenter justement l'interférence de trois tentatives d'expliquer l'explication: le théoricien qui veut expliquer qu'est-ce que c'est l'explication et comment elle se produit; le pédagogue qui cherche l'optimisation des stratégies explicatives; l'ingénieur qui veut contrôler le développement des instruments et des systèmes explicatifs. Leur fusion dans ma personnalité ne serait-elle pas expressive pour la rencontre entre les différents experts qui doivent coopérer pour organiser les systèmes d'explication? Ne serait-elle pas suggestive pour la symbiose ou l'équilibre entre l'esprit exact et l'esprit imaginatif ?

Enfin, je me suis décidé à ne pas m’inscrire dans la tradition des approches spécialisées, univoques et autoritaires, mais de risquer l'éclectisme descriptif, le " stéréo- regard ", l'expressivité du doute, l'explication implicite, l'autopsie des insuccès. La réflexion des pistes et des tentatives devait jeter sur mon sujet une lumière symphonique, originale, authentique. En m'expliquant pour expliquer le sujet qui me préoccupe, en appelant à l'introspection, je fais " recours à la méthode " qui m'est apparue pertinente dans ma méditation sur l'explication. Le cercle se ferme.

Les pôles d'intérêt

Pendant la recherche de l'explication de l'explication, je me suis parfois concentré sur une seule piste, explorant une description spécifique, phénoménologique, pédagogique ou opérationnelle. D’autres fois, j'ai cherché une combinaison, une description unique, multifonctionelle. J'ai observé leurs relations réciproques: la phénoménologie de la pédagogie et de l'ingénierie, la pédagogie basée sur l'utilisation de la technologie et sur la compréhension profonde des phénomènes, l'ingénierie orientée par la phénoménologie et par la pédagogie. Les idées que j'ai injectées dans les essais conçus progressivement, gravitent autour des ces trois pôles d'intérêt.

Les méthodes de recherche

Les pôles d'intérêts multiples ont imposé une variation de la méthodologie de recherche. La recherche a oscillé entre plusieurs approches, selon une logique négociée entre les trois personnages signalés plus haut.

L'ingénieur a fait souvent appel à une méthode de type " recherche et développement ", décrite surtout dans la partie B de la thèse et matérialisée par quelques prototypes. Il a aussi été impliqué dans des situations de " recherche- action ", décrites dans les chapitres A6 et B6 à propos de l'organisation d'un système de formation et de la formation d'une équipe spécialisée en applications explicatives sur Internet.

Le pédagogue, l'auteur, l'élève, le lecteur, le citoyen et l'ingénieur ont contribué avec des témoignages concentrés sur leur expérience de l'explication, organisés selon une méthodologie ethnographique introspective.

Le théoricien a surtout misé sur la méthodologie systémique, cherchant des modèles unitaires, composant des cartes du système explicatif, de la problématique et même... de sa perplexité.

Les types de regard

La manipulation des entités complexes est facilitée par le regard macroscopique qui simplifie l'image et met en évidence leur unité et leur essence. Il y a en revanche des aspects physiologiques que le regard d'en haut ne peut pas surprendre, qui demandent l'intervention du regard microscopique. Même les aventures de synthèse passent par une étape d'analyse minutieuse qui plonge dans l'univers des détails pour en extraire l'essence. Osciller entre le microscope et le macroscope, une procédure clef pour la science, permet d'éviter à la fois l'égarement dans l'océan de détails et l'évasion dans le monde des modèles " purs ".

Le déchirement entre les tendances de se distancer et de s'approcher, reste d'habitude caché dans la mémoire du chercheur, qui ne le décrit que de façon accidentelle, comme argument auxiliaire accompagnant les " vrais résultats ". Les descriptions académiques ne montrent pas le feu créateur mais seulement les formes qu'il produit. Nous rencontrons rarement dans la littérature scientifique des méditations ouvertes sur le vacillement entre l'impression d'avoir trouvé des repères et des formules importantes et le doute de leur valeur. Le ton ferme est rassurant, mais l'obligation de s'en tenir à ce ton intimide la sincérité et décourage la communication des intuitions, pourtant naturelles comme réaction en face de l’hyper-complexité. Pour décrire la trace fluide de la pensée cherchant le sens de l'explication, pour relater les tentatives, j'ai choisi le recours au regard "introscopique".

Les mécanismes du discours

Une autre tension dialectique que j'ai du résoudre a été le choix du mécanisme de mon discours.

J'ai senti parfois le besoin de présenter mes idées de façon linéaire, évolutive, de les placer dans la vague d'un discours progressif unitaire. La séquence convient pour refléter les processus. Elle permet aussi une explication cohérente des structures, quand elle guide le lecteur dans leur observation. J'ai utilisé la décomposition sérielle de mon message à l'intérieur de chaque essai. Pour mettre en évidence des significations longitudinales de plus longue durée, j'ai organisé des suites d'essais (en cascades) dans chaque partie de la thèse.

Pour mettre en évidence le caractère simultané des systèmes, j'ai dû recourir à des structures descriptives parallèles, à des cartes et à des architectures modulaires qui permettent l'orientation de l'exploration ou qui aident la recomposition du parallélisme, après un processus de sérialisation.

Pour accommoder les problèmes descriptifs très diversifiés, posés par l'explication du processus explicatif, j'ai dû recourir à un jeu continuel entre la sérialité et le parallélisme, en les alternant, en les combinant et en les appuyant l’un sur l'autre. Il y a des discours qui ont guidé l'exploration des structures et des modèles spatiaux afin de révéler l'organisation des processus.

Une formule subtile de combinaison sérialité-parallélisme est la superposition des fils discursifs. Chaque fil est une incursion dans le monde du phénomène, une traversée du sujet, polarisée par une certaine problématique et axée sur le récit de ma démarche évolutive d’observation et de modélisation partielle. L’ensemble des fils ne représente ni une décomposition parallèle ni une décomposition sérielle en modules disjoints. Les incursions interfèrent intimement, formant par intégration un discours multifilaire, comme les couches superposées qu'un peintre utilise pour arriver à l'image finale de son tableau. Elles forment un quasi-modèle, une structure descriptive non-univoque mais cohérente, formée par un ensemble d’images surprises chacune d’un point d'observation différent et expressif.

La formule du balancement entre la cascade discursive, l'exploration guidée, et la superposition des fils a été influencée par les conclusions de ma méditation sur la dialectique sérialité-parallélisme, réclamée par la description des processus complexes. Le résultat n'est pas une synthèse dans le sens classique, n'est pas un discours, mais une histoire fluide sur une réalité fluide. S’il m'a aidé à créer une image nuancée, ce sera un argument de plus en faveur de la narration comme méthode d'explication de la recherche.

Les postures de la lecture

La structure de la thèse ne devait pas accommoder seulement la variation des approches du compositeur mais aussi des postures du lecteur! Je voulais préparer une éventuelle rencontre initiatique et fugitive, une visite minutieuse au cours d'un long chemin cohérent et une exploration rapide à la recherche d'un détail sur une carte d'idées. La solution que j'ai adoptée m'a été suggérée par une analogie.

La société Macromind conçoit des outils " d’authoring " multimédia. Pour organiser la documentation de leur produit Director3, les experts de Macromind ont trouvé une solution intéressante: au lieu d'un manuel unique d’utilisation, ils ont conçu trois. Le premier est une incursion, un survol qui prend un exemple expressif pour introduire le lecteur dans le sujet, pour lui signaler la structure d’ensemble, pour l’avertir des possibilités, pour l’intéresser. Le deuxième est un manuel classique, présentant en détails les opérations importantes. Le troisième est une synthèse, un livre de référence, utilisable pour repérer rapidement un détail ou l’autre. Bien d'autres entreprises procèdent de façon similaire. Pourquoi? Parce qu'ils savent que l'éventuel utilisateur de leurs explications peut se retrouver en plusieurs postures (ou hypostases). En tant que débutant, il a besoin de saisir rapidement le sujet, d’être averti sur le sens de l’ensemble; comme apprenant, il a besoin de descriptions approfondies pour chaque opération; enfin, l'hypostase du connaisseur, qui cherche un détail sur la carte des aspects, demande une structure explicative qu’on puisse explorer.

Mon approche fut analogue; j'ai essayé de décrire mon objet pour permettre plusieurs hypostases de lecture.

Les couches de présentation

En essayant d'accommoder tant de tendances sans perdre ni l'unité, ni la pluralité, je suis parvenu, après maintes réorganisations à structurer la thèse en trois grandes parties qui deviendraient à la lecture trois couches descriptives. Ces parties ne correspondent pas de manière univoque aux pôles d'intérêt, aux angles de vue, aux méthodes de recherche, aux mécanismes descriptifs ou aux hypostases de lecture. Mais elles apportent un degré de spécialisation qui favorise la limpidité et qui est exprimée par la formule suivante :

Couche

Pôle

Méthode

Angle

Mécanisme

Hypostase

A

pédagogue

ethnographie

introspection

superposition de fils

initiation.

B

ingénieur

développement

microscopie

cascade discursive

étude

C

théoricien

systémique

macroscopie

exploration guidée

référence

La partie ou la couche A (Témoignage d'un observateur) introduit le lecteur dans le sujet, avertit, illustre, induit mon image, révèle la problématique. Je l'ai organisée autour du récit de ma vie, dans une suite d'incursions assez libres, mais polarisées par l’observation de l’explication. Les contextes des observations sont décrits brièvement pour soutenir les conclusions. C’est un recours à la narration, à la sincérité, à l’analogie suggestive, imposé par la complexité et la plasticité des observations. Il exemplifie mes idées sur la présentation progressive et historique des concepts. L'approche ethnographique introspective est la conséquence méthodologique d'un point de vue cognitiviste-constructiviste-développemental puisque je décris de l'intérieur l’histoire de la construction de mon savoir sur l'explication.

Je devais aussi pénétrer analytiquement dans les entrailles du sujet, parcourir des verticales complètes pour montrer la profondeur du phénomène étudié. Chaque essai de la cascade qui forme la deuxième partie B ou la deuxième couche (Le témoignage d'un expérimentateur) est un parcours séquentiel, un exercice de sérialité discursive décrivant le processus de mes investigations de laboratoire. Ceux-ci à leur tour ont scruté des processus. On a donc ici une explication visant la compréhension transitoire de ma compréhension transitoire sur la compréhension transitoire... Les essais abordent la recherche de laboratoire systématiquement, se concentrant sur certains problèmes et décrivant les prototypes et les conclusions produites.

La partie C ou la troisième couche (Le témoignage d'un modélisateur) est dédiée au regard simultané, synthétique, systémique. Ce n’est pas un modèle univoque de l’explication, mais une carte qui révèle le tissu de la problématique. On pourra ainsi repérer les acteurs du système explicatif, les aspects à prendre en compte, les mécanismes physiologiques, les sciences qui scrutent le phénomène et leur filtre d’observation. Cette partie présente d'en haut la surface de mon image sur l’explication et offre des repères à ceux qui voudraient sonder les détails. Elle contient aussi une histoire de la modélisation qui explique la chaîne d'essais commis sur le parcours et la sélection de ceux présents dans la thèse. A part ce récit de modélisation, dans tous les autres essais de cette partie, l’origine des observations n’est plus précisée; j'ai estompé ma présence pour traiter le processus explicatif en soi.

Les trois parties A, B, et C ou les trois couches que j'ai superposées dans ma présentation visent à tour de rôle la présentation suggestive, la présentation progressive, la présentation systémique. La combinaison des filtres complémentaires d’observation place l’objet dans un espace tridimensionnel. Le "macroscope" répond au besoin de synthèse systémique et se base sur l'explication parallèle, structurale. Le "microscope" répond au besoin d'analyse précise et mise sur l'explication discursive convergente. "L’introscope" répond au besoin d'authenticité suggestive et mise sur l'explication libre, émergente.

Le point sur l’ensemble

Il y a un phénomène complexe, multidimensionnel mais ontologiquement unitaire qui peut être vu par plusieurs prismes. La multitude des images sur le phénomène (descriptions, modèles, explications) perçues et formulées par des hommes et des disciplines forment une réflexion globale structurée de manière plus ou moins univoque. L'unité ontologique du phénomène et du monde des messages réifiés qui le décrivent se trouve dans un rapport subtil avec la variabilité des images individuelles. Chaque homme construit une image interne subjective du phénomène. Celle-ci est influencée par sa personnalité, par sa culture, par ses intérêts. Les images d'un pédagogue, d'un théoricien et d'un ingénieur sur le phénomène de l'explication, portant l'empreinte de leur maîtres, diffèrent et posent des problèmes de synchronisation.

Peut-on récupérer la multidimensionnalité unitaire du phénomène primaire dans l'univers second de sa description scientifique ? Que dire dans un univers cognitif individuel ?

Pour répondre à ces deux questions je me suis soumis à une expérience duale, comme cobaye- expérimentateur. J'ai essayé de dresser un modèle réifié (extériorisée) de l'explication et dans le même temps d'observer la formation de mon image intérieure sur l'explication. Le premier projet, bien que résolu avec certains résultats, signalés dans la thèse, n'a pas abouti à un modèle complet de l'explication.

Par contre, la deuxième piste s'est avérée plus fructueuse, à cause de ma formule d'expertise hybride. Je pouvais tester si la multiplicité ontologique peut se retrouver dans une multiplicité gnoséologique. La preuve devrait être la formation d'une image ternaire c’est-à-dire phénoménologique, pédagogique et technologique à l'intérieur d'une seule conscience. Bien entendu que, pour produire, observer et décrire cette fusion, je n'avais accès qu'à une seule conscience: la mienne! Il en découle le contenu et la méthode de cette thèse.

Observation : Je suggère au lecteur de lire maintenant l’épilogue...